
Vivre heureux et caché dans le monde des machines
De temps à autres un avis de banque, un relevé de carte de crédit, un site de compagnie aérienne, de musique en ligne ou une facture de téléphone fait sauter le client au plafond. Et de prendre sa plus belle plume pour écrire une lettre de réclamation incendiaire à la société – ou son téléphone pour que son avocat le fasse. Ce que le client ne réalise pas, c’est qu’il se donnera beaucoup de peine et d’énervement pour n’écrire qu’à une… machine. Plus clairement : nombre de prestations commerciales courantes sont aujourd’hui accomplies par des machines. Tant qu’aucun problème ne survient, il n’y a pas d’intervention humaine et la relation est entièrement gérée par l’informatique. Idem tant qu’aucune anomalie par rapport à ses paramètres n’est signalée par la machine, à ce moment là à un employé. Lorsqu’une réclamation est exprimée, que ce soit par écrit ou en appelant une hotline, un employé lambda examine alors la relation et le problème posé sur son écran, mais en live – et résout le problème plus ou moins diligemment. Où veux-je en venir ?
Plusieurs conséquences. Tant que l’utilisateur reste dans son profil paramétré, il peut jouir du service des mois et des années sans qu’aucune intervention humaine n’ait lieu. Il utilise, il paie, il vit heureux et caché. Les escrocs le savent bien également. Tant qu’une utilisation frauduleuse reste dans les paramètres de la relation, elle a de meilleures chances de rester un certain temps indétectée, tant par le titulaire légitime que par le fournisseur. Si un problème survient en revanche, un employé en héritera aléatoirement et le traitera selon des directives et sans relation particulière avec le client. Les arguments ou récriminations de la lettre incendiaire n’auront strictement aucun effet et l’employé ne se sentira ni redevable ni coupable ni embarrassé – pour le compte de son employeur. Le problème sera traité par un humain, mais selon des grilles et des procédures presque mécaniques elles aussi. Sauf à ce que le problème n’en vienne à poser une préoccupation commerciale pour le fournisseur, ce qui est rarement le cas pour des prestations à échelle individuelle, ou une préoccupation médiatique ou de protection des consommateurs qui puisse le gêner, autant ravaler sa bile et la garder pour autre chose. Est-ce réjouissant sociétalement de n’avoir à faire qu’à des machines ? C’est effectivement une plus vaste question mais également une composante du prix en tout cas, et permet de vivre sans souci tant que l’on reste dans les clous.