La question est audacieuse – mais la Cour Suprême des Etats-Unis n’est-elle pas en bout de course ? L’objectif principal mais longtemps voilé des républicains, en devant bien accepter l’élection de Trump qu’ils n’avaient pas souhaitée, était de continuer à façonner la Cour Suprême pour des décennies. Sachant que sur tous les sujets de société majeurs dont la ligne de clivage se situe entre progressistes et conservateurs, la Cour a tranché à cinq contre quatre. L’enjeu était donc lui aussi considérable. Les précédentes nominations l’avaient été sous deux présidents républicains. Par la force des âges et des choses, le mandat de Trump allait leur offrir la potentialité d’en nommer deux voire trois de plus – verrouillant ainsi une forte empreinte conservatrice destinée à durer elle aussi par la force des choses. Le problème, c’est qu’en ayant bloqué la nomination d’un juge progressiste à la fin du second mandat d’Obama, les républicains ont lancé la hache de guerre. Avec quelles conséquences ? Explication.
L’empêchement de la nomination du juge Garland était un acte de guerre politique. Elle a causé la fin de mœurs convenables qui étaient que, sauf problème de personne dirimant, chaque camp respectait la possibilité de l’autre de nommer un juge pendant son tour si l’occasion s’en présentait, sur le devoir de présenter des candidats de qualité ce qui était le cas. Les démocrates ne l’ont à juste titre pas digéré et sont entrés dans une logique de rupture, en tentant de faire échouer la nomination du juge Gorsuch, élu alors à une plus faible majorité historique et après que les républicains aient dû changer les règles de majorité. Puis en tentant violemment de faire barrage au juge Kavanaugh, empêtré dans une vieille affaire sexuelle mais qui, en fait, n’aurait pas dû être élu à cause de sa coloration politique et judiciaire.
Dans une affaire de 2ème Amendement, le sujet de société le plus sensible du moment, cinq sénateurs démocrates viennent d’adresser à la Cour un mémoire « amicus curiae » vindicatif – aussitôt qualifié d’ennemis, plutôt que d’amis, de la Cour. Ils la mettent en garde quant à une décision qui serait par trop servilement et politiquement alignée sur les conservateurs pro-armes, nommément la NRA. Tollé chez les républicains qui y voient une violation de la séparation des pouvoirs par la menace de la vindicte sinon l’invective. Peut-être – mais.
Finalement, ce qui se passe pose la question de savoir si cette Cour… en est toujours réellement une. Elle est instituée comme telle par les textes – mais si elle devient un organe d’enregistrement d’une sensibilité politique partisane, la question se pose. Elle se pose plus particulièrement encore vu son lien avec le fichu originalisme dont elle se sent investie – et dont le sens est de plus en plus contestable. La Cour n’interprète plus la Constitution « comme les pères fondateurs l’ont voulu ». Deux-cent cinquante ans après, l’exercice a ses limites évidentes – dont l’évolution des moeurs et de la société. Si l’interprétation judiciaire n’est plus que l’alibi de la confirmation du sens politique voulu par l’un ou les deux autres pouvoirs, alors la Cour s’affaiblit intellectuellement et institutionnellement. Les institutions judiciaires sont parfois critiquées et critiquables parce qu’ainsi est l’émotion partisane. Et elles doivent résister bien sûr. Là où le pouvoir exécutif s’est abaissé à un plus bas historique en termes de moralité, d’humanité, de sens, et où le législatif a hélas suivi cette pente pour une série de bonnes et de mauvaises raisons, la Cour n’est pas immune à devoir subir le même affaissement.
Dans Moritz, le cas de discrimination emblématique qui illustrera Ruth Bader Ginsburg, celle qui deviendra juge suprême a évité le piège en ne demandant pas à la Cour d’Appel de changer la société, mais de constater son changement et d’y adapter sa jurisprudence. Conservatrice et originaliste, la Cour Suprême peut choisir de creuser sa tombe en tant que Cour de droit – ou pas. A suivre de très près.