
L’influence de la crise économique actuelle sur l’économie de la profession d’avocat et sur les Facultés de droit américaines – et le privilège de la gratuité des études en Suisse
La profession d’avocat, notamment sous la forme de grands cabinets intégrés, est en train de vivre aux Etats-Unis un contrecoup direct mais aussi des évolutions plus fondamentales résultant de la crise économique actuelle. Une « bulle juridique » s’était-elle également créée ? Les prestations de services juridiques avaient-elles atteint une fraction (trop) importante du PIB en étant également nourries par des taux de croissance non-fondamentaux, soit la formation de bulles successives dans certains secteurs ? Ou alors ce repositionnement touche-t-il plus largement à la part économiquement viable que doivent occuper les prestations de services juridiques dans une société donnée ? Plusieurs mécanismes sont impliqués qui interagissent à leur tour sur le relation entre le Barreau employeur de juristes et les Facultés qui les forment. Aux Etats-Unis, l’enseignement du droit est devenu au fil des ans un véritable business. Cette brève analyse est d’ailleurs intéressante en lien avec la tendance dans ce même sens qui s’est accélérée en Europe ces dernières années pour la partie post-Bologne des études universitaires. Les Law Schools aux Etats-Unis font l’objet de classements. Il en existe plusieurs qui sont basés sur divers critères qui prennent en compte, comme pour les étoiles des hôtels, toutes sortes de facteurs dont le lien avec la qualité de l’enseignement n’est parfois que très indirect (taux de réussite au brevet d’avocat, nombre d’élèves par classe, prestige et réputation, financement, qualité de la bibliothèque, nombre d’engagements dans des grands cabinets, etc.). Certains de ces classements sont devenus de véritables institutions (US News & World Report, Princeton Review, Super Lawyers, Vault, etc.) en tant que le marché du droit aux Etats-Unis est très reputation and reference based et qu’ils ont donc une importance considérable dans le choix des écoles et dans le recrutement des diplômés.
Cela a des conséquences économiques en séquence. Les Facultés les mieux classées augmentent leurs tarifs selon la loi de l’offre et de la demande. Leurs frais de fonctionnement nécessaires à leur qualité et pour rester en tête augmentent également. Cette inflation de leurs budgets les rend, comme toute entreprise, dépendantes des rentrées et vulnérables aux crises. Pour leur part, les étudiants s’endettent pour payer ces écolages élevés, dette qu’ils devront rembourser avec leurs premières années de salaire. Etudier le droit est un véritable investissement qui doit répondre à un équilibre. Trois facteurs interagissent ici. Le recruté doit pouvoir rembourser son emprunt dans des conditions viables. L’offre et la demande de diplômés des meilleures Facultés et la dépendance aux classements agissent sur le niveau des premiers salaires. L’ensemble du système influe à son tour sur le coût des prestations juridiques. En d’autres termes le coût élevé de « production » de l’avocat diplômé des meilleures écoles se retrouve en bonne logique économique dans le coût de production de la prestation au client. Jusqu’au jour, qui est venu, où la crise économique rompt l’équilibre de cette chaîne parce que le client final ne peut plus assumer ce coût. Ce dernier point fait partie d’un poste d’analyse plus complexe : à quelle fraction du PIB les services juridiques doivent-ils correspondre et sont ils supportables par l’économie ? Cette proportion peut en outre être en lien avec la qualité de l’Etat de droit, la sécurité juridique étant un facteur global de prospérité.
Toujours est-il qu’aujourd’hui le système de formation juridique américain est peut-être confronté à un changement de modèle induit par la crise et dont les conséquences sur l’enseignement pouront être importantes. Les grands cabinets qui émargeaient à la prospérité et à la croissance de la dernière décennie ont licencié par milliers, et n’engagent plus ou largement moins de fraîchement diplômés. Les premiers salaires ont largement baissé en conséquence de leur baisse de chiffre d’affaires. Et le calcul économique de l’investissement de l’étudiant en droit n’est plus viable. A terme, sauf une reprise rapide et forte, les Facultés seront à leur tour affectées par le fait qu’un étudiant ne pourra plus rentabiliser ses études de droit ni assumer l’endettement qui aura été nécessaire à cette fin. Cela pourra avoir des conséquences sur les modes et la qualité de l’enseignement. En Suisse et dans la zone Bologne de manière générale, le financement des études universitaires est prioritairement étatique. L’impact sur l’Université de facteurs relevant de l’économie privée comme le niveau des premiers salaires des diplômés ou les financements privés est moindre. Avec le libre choix de son Université, ce sont là des privilèges notables et heureux – lesquels tempèrent ou retardent l’importance de facteurs strictement économiques dans les choix d’études, de vie et de carrière des étudiants. Y compris, ce qui est fondamental et républicain, l’accès aux études et à des études de qualité.