Consulté récemment sur un problème de droit civil très banal sur lequel je n’avais pas la jurisprudence récente en tête, j’ai tapé à tout hasard « ATF » et deux mots clés dans Google alors que j’avais le client au téléphone, et obtenu en 0,0017 secondes, en premier résultat, l’ATF topique le plus récent sur le sujet ! Par prudence, j’ai par la suite vérifié ce résultat formidable par une recherche plus complète, laquelle m’a toutefois confirmé la pertinence et la prédominance, en l’espèce, de cet arrêt.
Il n’est évidemment pas certain qu’un tel résultat se reproduise à chaque coup. L’accès par voie électronique à la jurisprudence des tribunaux, quelques années après sa réalisation, apparaît cependant comme un phénomène qui nous semble aujourd’hui presque aller de soi comme l’électricité ou le traitement de texte alors que cela a en réalité eu une influence considérable sur l’activité des juristes, avocats et juges. Cette influence va très au-delà de la simple facilité ou du simple avantage pratique que cela présente effectivement.
Auparavant, mais il n’y a pas si longtemps, la jurisprudence la plus importante était accessible exclusivement au travers de sa publication par certains tribunaux eux-mêmes ou par matières dans diverses revues de divers degrés de spécialisation. Dans tous les cas, une sélection était effectuée et procédait par définition d’un choix subjectif. Ce choix intégrait certainement des considérations relatives à l’intérêt de la cause ou de la matière, à l’intérêt du raisonnement juridique ou de la solution adoptée, ou à l’importance réelle ou supposée de la décision dans la matière considérée.
Si cette sélection répondait probablement à de bonnes considérations d’opportunité, et atteignait par là certainement assez largement son objectif, il n’en demeure pas moins qu’elle était subjective et que seule une petite partie de la jurisprudence émise par les tribunaux était ainsi accessible aux praticiens (p. ex. s’agissant des ATF 5 à 10 % des arrêts cf. article dans la Revue de l’Avocat 2007 (10) p. 436). De fait, certaines incohérences ou contradictions dans la jurisprudence de certaines juridictions ont ainsi inévitablement été gommées par le processus de sélection, consciemment ou non (de telles divergences de jurisprudence existant nécessairement malgré la procédure formelle d’élimination de l’art. 23 LTF (ancien art. 16 OJ) cf. Le traitement des divergences de jurisprudence en droit suisse, Christine Chappuis – Jean-François Perrin, in Les divergences de jurisprudence, Pascal Ancel – Marie-Claire Rivier, publication de l’Université de St-Etienne, 2003 et les exemples cités au point 3 p. 348). Des arrêts ayant tout de même une certaine importance ont également nécessairement été ignorés, laissant aux praticiens la tâche ardue de les identifier s’ils entendaient les invoquer. Ce processus de sélection subjective a également masqué un caractère casuistique de la jurisprudence plus marqué que la publication des seules décisions importantes ne le laissait entrevoir.
A cet accès par les publications s’ajoutait donc la faculté pour les praticiens de demander et compiler certaines décisions, en premier lieu celles qu’ils obtenaient ou plaidaient eux-mêmes, ou se soufflaient les références. Il s’y ajoutait donc une sorte de concurrence un peu désagréable entre ceux qui, par une proximité de certains greffes, ou des accès parfois un peu privilégiés, disposaient de décisions non publiées qu’eux seuls pouvaient utiliser et qui n’étaient parfois pas volontiers partagées voire même jalousement conservées !
S’il était honorable et légitime que certains se donnent la peine de procéder à des compilations complètes dans certaines matières, et disposent ainsi d’une connaissance plus étendue dans celles-ci, cela n’en limitait pas moins la qualité d’ensemble des prestations judiciaires des praticiens et, partant, des décisions de justice. Par ailleurs, le simple travail d’identification, de collecte et d’inventaire de décisions non publiées mais néanmoins utiles était en soi fastidieux et peu intéressant, constituant une source de coût supplémentaire pour l’avocat et donc le client.
L’accès en ligne et les outils de recherche qu’il offre ont ainsi non seulement l’avantage de la rapidité et de l’efficacité de l’accès à l’information, mais celui, finalement fort important, de mettre l’ensemble des praticiens et des tribunaux quasiment à égalité en terme de niveau de connaissance de la jurisprudence – ou, en tout cas, de la faculté de pouvoir accéder aux décisions déterminantes dans une matière ou sur un point donné. L’on constate d’ailleurs que le TF cite plus fréquemment et plus largement qu’auparavant des arrêts non publiés aux ATF. Comme ceux-ci sont désormais accessibles en ligne, le TF dispose également d’une base beaucoup plus vaste de précédents sur lesquels il peut appuyer ses nouveaux arrêts sans prendre les avocats et les parties par surprise avec des arrêts inconnus ou inaccessibles (s’agissant toujours des ATF 50 à 70 % des arrêts de 2000 à 2006 et 100 % dès 2007 cf. article op. cit. dans la Revue de l’Avocat 2007 (10) p. 436).
L’avantage en termes de rapidité et d’efficacité est un progrès bénéficiant donc directement à la fois au prestataire et au consommateur de services juridiques, tant pour cette efficacité et cette rapidité du service qu’il reçoit qu’en termes de coût.
Les praticiens courent pour leur part un risque moindre de plaider dans l’ignorance de certaines décisions non publiées, difficilement accessibles ou difficilement identifiables, peut-être connues de leur adversaire ou auxquelles le TF se référera peut-être. L’égalité face à l’information ainsi consacrée est donc un progrès pour les droits du justiciable et, puisque contribuant à l’élévation qualitative directe du niveau général des prestations de services juridiques, progrès pour la sécurité du droit en général au travers de la qualité des décisions des tribunaux.
Il sera intéressant de voir à quelques années de terme si l’analyse scientifique de la jurisprudence et de ses divergences confirme une amélioration de sa cohérence du fait de la recherche et du traitement informatique de la matière.
Au plan des inconvénients, la mise en ligne de la jurisprudence des tribunaux confronte le praticien à un volume tel qu’il est impossible de suivre toutes les décisions publiées, même partiellement ou par matières, sauf à y consacrer un temps très considérable. Cela est cependant compensé par le fait de pouvoir se mettre à niveau sur un sujet ou dans un domaine donné d’une manière infiniment plus rapide et plus efficace que lorsqu’il fallait recourir à des compilations papier et par l’efficacité des outils informatiques de recherche et de tri.
Un autre désagrément inhérent au volume est, à l’inverse du système précédent, la disponibilité en ligne d’un grand nombre de décisions n’offrant un intérêt particulier ni en fait ni en droit. A nouveau cependant, les outils de recherche informatique permettent d’y remédier pour une large partie par les tris automatisés qu’ils offrent, permettant d’identifier des décisions importantes mais non publiées lesquelles seraient justement, auparavant, restées ignorées.
De manière générale, le gain en temps et en efficacité pour l’avocat plaidant est un progrès concret et utile puisque de manière générale, les délais de recours à disposition n’ont pas varié. Cela devrait symétriquement se traduire par une plus grande rapidité dans la reddition de la justice.
Il est enfin deux autres conséquences plus matérielles de l’accès en ligne de la jurisprudence des tribunaux.
Premièrement, l’on constate que la jurisprudence est infiniment plus casuistique que cela n’apparaissait lorsque seules des décisions importantes ou sélectionnées comme telles étaient publiées. L’on réalise ainsi bien plus que dans l’ancien système que certaines motivations semblent être adoptées davantage en fonction du résultat qui semblait être commandé par les faits que de la stricte application de la règle de droit. L’on peut également identifier assez aisément dans un certain nombre de matières des arrêts comportant des solutions ou des motivations assez radicalement contradictoires et manifestement adoptées sans concertation entre magistrats ou sections s’il s’agit de la même juridiction.
Deuxième considération, en révélant un caractère casuistique plus affirmé que cela ne ressortait à l’époque des publications papier, l’accès en ligne révèle en fait que l’écart entre la jurisprudence des pays de droit écrit et celle des pays de Common Law est beaucoup moins marqué que cela nous a été enseigné. D’une part la jurisprudence des pays de Common Law doit de plus en plus prendre pied sur une législation ou des réglementations édictées, mais d’autre part la jurisprudence des pays de droit écrit s’avère en réalité beaucoup plus casuistique et beaucoup plus reposée sur les précédents que le système ne le voudrait. Dans certains arrêts cantonaux ou fédéraux, le nombre de précédents cités, dont souvent aujourd’hui un certain nombre d’arrêts non publiés, n’a plus rien à envier à un jugement anglo-saxon ! L’explosion du nombre de causes dans les trois matières principales du droit en est probablement la raison.
En conclusion, la vue qu’a le praticien des décisions des tribunaux s’est ainsi radicalement modifiée en finalement très peu de temps, quelques années, à l’évidence dans le sens d’une augmentation sensible de la qualité de leur travail. Je ne regrette certainement pas les heures peu productives à éplucher des tables de concordance, des matières ou des dispositions citées. Certaines revues seront nécessairement amenées à disparaître du fait de l’accès en ligne direct à la jurisprudence de certaines juridictions, notamment spécialisées. D’autres resteront utiles aux praticiens par leur sélection de décisions comme étant particulièrement intéressantes ou ayant été voulues par les juridictions concernées comme modifiant une jurisprudence, réglant des problèmes fréquents ou tranchant des questions de principe. A l’évidence, le prochain défi technologique est le logiciel intelligent qui identifiera automatiquement et de manière fiable les arrêts et précédents pertinents sur une question de droit donnée. Il ne restera alors plus aux avocats que la partie la plus noble et la plus difficile de leur activité : interpréter les précédents et concevoir les arguments.
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[…] définitives, sa jurisprudence fait foi. Même si elle peut naturellement évoluer – ou est parfois plus casuistique ou moins homogène que les seuls arrêts publiés le laiss(ai)ent montrer. Le TF a donc toujours raison, comme le chef […]