La justice est en Suisse peu abordable pour la classe moyenne

Posté le 21 septembre, 2014 dans justice

Le thème est récurrent : Maître, combien ça va me coûter ? La réalité abrupte est que la justice est accessible aux démunis par l’assistance juridique, aux nantis qui ont les moyens de leurs ambitions judiciaires, mais plus difficilement à la classe moyenne. Pour un particulier ou un ménage de la classe moyenne, et même supérieure, débourser ou provisionner 2-3-4 ou 5’000.- francs pas mois pour un litige constitue un gros débours voire n’est tout simplement pas possible. Or ces personnes ne sont pas éligibles à l’assistance juridique, et de nombreux procès, entre les droits de greffe, les frais d’avocat et les dépens, coûtent facilement de 20 à 150’000.- francs et plus pour des valeurs litigieuses qui ne sont pas astronomiques. Un litige avec son architecte ou un entrepreneur, relatif à une opposition de construire ou une servitude, à un accident, à une couverture d’assurance, à un défaut contractuel, à une succession, ou tout simplement un divorce, a très vite une valeur litigieuse en centaines de milliers de francs. Il engendre ainsi très vite des frais juridiques de plusieurs dizaines de milliers de francs. Et lorsqu’il en résulte une entrave concrète à l’exercice de droits, c’est problématique en termes de justice et d’Etat de droit. Une présentation récente de Me Boris Vittoz au Groupe Vaudois de l’ASA à fin de comparer l’arbitrage (et ses avantages) à la justice ordinaire a posé des chiffres très intéressants à cet égard également.

Pour un litige de 1,5 millions, le demandeur vaudois doit avancer 202’000.- contre 232’000.- à Genève, et le défendeur 151’800.- dans les deux cantons. Soit un coût du litige de 353’800.- et 383’800.-, donc de l’ordre de 25% de la valeur litigieuse, dont l’essentiel, mais pas la totalité, se reporte sur la partie perdante. A titre indicatif, objet de cette étude, le coût d’un arbitrage selon les Swiss Rules est de 379’500.-, soit pas plus onéreux, infiniment plus rapide, ce qui a souvent un coût financier propre, mais sans les trois degrés de juridictions et donc les possibilités ordinaires de correction en cas de décision erronée. Pour un litige de 150’000.-, les frais cumulés sont de 81’600.- dans le canton de Vaud et de 88’600.- à Genève (68’400.- pour un arbitrage). C’est plus de 50% de l’enjeu ! – ce qui est difficilement justifiable. Cette étude a nécessité de prendre des fourchettes théoriques en termes de taux horaire et de temps consacré, facteurs qui fluctuent significativement d’une affaire à l’autre. Dans nombre de cas de ces ordres, les avocats facturent moins que les paramètres retenus, avec pour effet, souvent, de baisser leur taux effectif et/ou leur rentabilité. Lorsque le client est un particulier, l’avocat ne peut pas toujours, même dans une affaire portant sur un million, facturer 150’000.-, même sur plusieurs années, et le client ayant déjà acquitté 50 ou 80’000.- de droits de greffe. Mais quelle que soit la marge sur ces paramètres, cela illustre exactement le propos : entre 150’000.- et 1,5 millions, un litige est très cher, comporte un risque très cher pour le perdant, et est difficilement accessible pour la classe moyenne.

Quelles autres conclusions en tirer ? La justice devrait-elle être gratuite hors les frais d’avocats que chacun conserve comme aux Etats-Unis ? Ce serait un virage philosophique majeur, ainsi qu’en termes de financement de l’institution – et alors que les Américains se demandent eux-mêmes s’ils devraient passer au « loser pays ». Peu importe finalement que, dans la sommes des injustices de l’existence, ceux qui ne sont pas démunis assument leurs litiges – même si cela est cher ? Après tout, ce n’est la faute ni de l’avocat ni du juge si les justiciables ont des problèmes et se disputent – plutôt que de les éviter ou de les transiger. S’ils avaient une meilleure compréhension de leurs coûts et risques, ils transigeraient davantage, avec les concessions que comporte le seul fait d’être en litige, sur le vu de leurs risques et chances. Mais les mentalités n’y sont pas encore : chacun s’arc-boûte sur sa position et prend ses propres conclusions pour la seule position négociable. L’avocat doit-il travailler davantage au pactum de palmario ? Pas nécessairement puisque souvent cela le pénalise si le client perd – mais ce qui est un choix économique que l’avocat peut apprécier librement. La réalité demeure : se disputer est très (trop) cher pour la classe moyenne et ce n’est pas toujours juste.

 

 

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