Lu et apprécié le livre sous le titre simple et sobre « Le Tribunal fédéral Comprendre son fonctionnement, agir devant ses juges » (Schulthess) du juge fédéral Alain Wurzburger. Ce livre ballade (agréablement) le lecteur dans l’histoire, l’ancrage institutionnel, l’architecture, certaines affaires célèbres du TF. Mais surtout, et comme c’est pour partie sa vocation selon son titre, il ouvre la fenêtre sur son fonctionnement pratique, concret, sur ce qui se passe et comment la justice suprême est rendue en Suisse lorsque l’avocat poste en recommandé pour le compte de son client un des environ sept mille recours qu’il reçoit par an. Et c’est cette partie qui intéresse tout particulièrement le praticien. L’avocat connaît en principe les lois et principes qui régissent la procédure, la forme, le contenu. Comme le citoyen il connaît toutefois souvent moins bien le fonctionnement intime de la justice, en l’occurrence du Tribunal fédéral. Et il est vrai que le TF est un peu une justice désincarnée, une justice postale – même si ses décisions ont un effet définitif et très concret pour les parties. Le TF, pour nombre d’avocats et de justiciables, c’est une justice qui se met en oeuvre par la poste, par écrit, sans contact humain direct. Le recours est posté. Il vivra sa vie au sein du TF sans que beaucoup sachent comment, et l’arrêt reviendra comme le recours est venu, par la poste, dans l’année. Que se passe-t-il donc au TF et pourquoi ce manque de curiosité que ce livre satisfait à plusieurs égards ?
Tout d’abord parce que cette juridiction fonctionne. Elle fonctionne bien. Sinon dans l’ombre sans nécessiter la lumière des projecteurs. La jurisprudence présente un degré élevé d’homogénéité et de cohérence, et donc de sécurité juridique. Les délais de traitement sont convenables. Les juges fédéraux ne sont pas des stars sauf quelques uns au plan juridique, mais une sélection équilibrée des meilleurs juges/juristes du pays. Cela fonctionne donc à la Suisse, c’est-à-dire efficacement – même si la perfection n’existe pas. Et sans corruption – ce qui ne va pas de soi dans de nombreux pays du monde, et l’ensemble participant de ce que la Suisse est un Etat de droit et que c’est un acquis fondamental. Pour autant ce qui frappe est à quel point, dans le prolongement du fait qu’elle est rendue par la poste, cette justice est effectivement rendue en vase très clos, avec un minimum d’interaction humaine. Certes les phases inférieures du litige ont connu des comparutions personnelles, des auditions de témoins et d’experts, une instruction vivante et, parfois, des plaidoiries. Au TF c’est uniquement de droit qu’il s’agit. S’il n’y a pas de contact direct avec les parties et leurs avocats, il n’y en a que très peu non plus au sein du TF. Le projet de jugement, appelé rapport, préparé par un juge ou par un greffier-juriste, circule sans discussion et sera adopté sans délibération s’il y a unanimité. Ce qui signifie que si le rapporteur se trompe, le sort de la cause dépend des deux juges (en principe) qui le liront et réagiront, provoquant alors une délibération.
Ainsi la justice ne se rend-elle pas davantage à la cafétéria du TF comme en circule une certaine légende. Ce parcours très hermétique, et les juges ayant finalement peu de contacts entre-eux sur les dossiers comme en général, est-il inquiétant ? Il peut surprendre l’avocat, qui aime et comme tout juriste avant tout débattre, discourir de problèmes de droit. Il peut surprendre le justiciable pour qui plaider c’est s’adresser en personne à son juge. Mais le TF, s’il est une cour suprême hiérarchiquement, doit traiter en Suisse sept mille recours par an, dans un délai et un degré de justesse et de fiabilité raisonnables (sur les statistiques cf. ses rapports de gestion, ce blog et ce blog). Il n’est pas confiné à la juridiction constitutionnelle et sélectionnant les affaires qu’il reverra comme aux Etats-Unis – où la Cour Suprême reçoit annuellement environ huit mille Writ of Certiorari (pour 300 millions d’habitants), la demande de recevabilité, seules 85 étant acceptées et donnant lieu à un arrêt de la Cour. L’avocat suisse ne connaîtra donc jamais l’ivresse – et la difficulté – de la plaidoirie devant le TF, encore moins sous forme de discussion calibrée comme devant la Supreme Court. Il y a en revanche, lorsqu’il y a désaccord, une délibération publique unique sous cette forme. Pour le praticien, ce mode de traitement essentiellement scriptural du recours au TF – recours, réponse, rapport et arrêt – accentue encore la nécessité d’une rédaction claire et efficace. Et comme doivent l’être les arrêts pour être compris et acceptés par les justiciables. Le TF n’est pas une tour d’ivoire et chacun rentre chez soi justice rendue.