Les dépens judiciaires et le système « loser pays » nuisent à l’Etat de droit

Posté le 10 septembre, 2015 dans justice

Le système semble à la fois cartésien et juste : à l’instar des principes de la responsabilité de manière générale, celui qui génère un coût pour autrui en l’ayant attaqué en justice à tort doit l’indemniser de ce coût. Le juge possède une relative faculté d’atténuer la charge résultant du sort de l’action dans la répartition des dépens – mais globalement, celui qui perd paie. Le système inverse dans lequel la justice est gratuite et chacun n’assume que ses frais produit l’effet pervers d’induire des procès dans des cas où les chances du demandeur sont limitées ou infimes. Le désagrément est alors pour le défendeur d’assumer le coût d’avoir dû se défendre lors même qu’il a gagné, ou d’entraîner qu’il transige, même sur des niveaux moindres, pour simplement s’éviter le procès et son risque, même limité. Cela est insatisfaisant en termes de justice – mais probablement moins in fine que notre système actuel de dépens. Comme déjà évoqué, la justice en Suisse est chère et en réalité inaccessible à la classe moyenne (les riches ont les moyens de leurs ambitions judiciaires et les pauvres également mais aux frais du contribuable par l’AJ). Cela induit l’effet pervers inverse que de nombreuses situations contraires au droit subsistent parce que celui qui en bénéficie est la partie forte économiquement à la relation et donc au procès, et que la partie faible n’a pas les moyens de la contester.

A choisir, notre système n’est pas le bon. Le Conseil fédéral a pris conscience de cette distorsion en faveur de la partie forte dans certains cas particuliers. Il a tenté de l’atténuer, dans le cadre de projet de loi sur les services financiers, par diverses solutions dont la gratuité de la procédure, mais celle-ci ayant été rejetée sous l’influence du lobby bancaire. Les derniers aménagements du projet restent ainsi très en-deça de ce qui serait nécessaire pour donner un réel accès à la justice, et favoriser l’Etat de droit sur la loi du plus fort, au client face à sa banque. Ce secteur est exemplatif de cette inégalité des forces entre les parties – mais il y en a d’autres et cela devient donc une question générale de qualité de l’Etat de droit. Impossible à un Suisse moyen de se lancer dans un procès contre une entreprise majeure en matière de protection des données. Ou en matière de construction ou d’assurance. Il lui faudrait avancer des dizaines de milliers de francs de droits de greffe et de frais d’avocats, et prendre le risque de dépens en dizaines de milliers de francs. La majorité ne le peut tout simplement. Idem dans les cas dans lesquels l’atteinte économique de la partie faible est limitée mais dommageable (typiquement quelques centaines ou milliers de francs dans les litiges habituels de droit de la consommation) – mais les risques du procès imprenables parce qu’en représentant un multiple.

Le statu quo imposé par la partie forte demeurera donc sans l’intervention du législateur, mais lui-même sous la coupe de milieux économiques forts là où l’intérêt du citoyen ou du consommateur n’est soutenu que de manière disparate et sans moyens également. Il faut donc oser poser ce constat que la situation actuelle nuit à l’Etat de droit, que c’est plus grave et dommageable que les désagréments inverses, et avoir le courage de remettre en question le sacro-saint système actuel de droits de greffe et de dépens.

 

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