Le TF vient de rejeter le recours du cadre qui avait réclamé diverses indemnisations pour le dommage qu’il avait subi du fait d’avoir travaillé dans le cross-border US de sa banque après que les foudres américaines se soient abattues sur elle. L’articulation principale de l’arrêt est qu’il n’est pas établi que la pratique d’évasion fiscale du desk US, avec ses méthodes d’espions de romans de quai de gare, ait été connue de la haute hiérarchie de la banque, que cette pratique violait les directives internes, et que l’employé avait la latitude de le dénoncer plutôt que de s’y prêter – ce qui rompt in casu la causalité adéquate. Arrêt juste ou critiquable ?
L’arrêt est probablement juste sur un plan micro et probablement moins sur un plan macro. Sur ce plan général, presque politique, le cross-border, entendez par-là héberger en Suisse des avoirs de clients étrangers non-déclarés à leur fisc, a été la vache à lait de la banque suisse pendant des décennies. La réalité d’ensemble est que le secteur, et la Suisse, en ont profité sans savoir s’arrêter avant d’être vraiment pris la main dans le sac. Dans ce sens, l’employé est ici le lampiste – alors que la place entière, les hautes directions des banques les premières, savaient ces pratiques et en prenaient le risque conscient. Les directives de polichinelle étaient édictées pour servir d’alibi tout en étant ignorées. L’arrêt constate d’ailleurs les opportunes carences de la surveillance interne à cet égard, mais sans en tirer de conséquence. Sous cet angle, l’arrêt est injuste. Mais l’appréciation du TF se fonde, au plan micro, sur un dossier de procédure et sur la vérité judiciaire qu’il établit – dont il semble ressortir que l’assentiment, la tolérance ou la conscience de la haute direction n’étaient pas établis. Soit. Le TF ne retient pas non plus à charge les admissions de la banque dans la procédure américaine – ce qui interpelle aussi. Délicieux bonus sur le conflit d’intérêts de l’avocat au milieu du considérant 5.5 – sans conséquence lui non plus.
Le second axe de l’arrêt est que l’employé, cadre, avait le choix de ne plus se prêter à cette pratique dans ces conditions. Il était le premier à en connaître les risques, qu’il pouvait dénoncer en interne. Il pouvait le cas échéant quitter cet emploi et avait retiré des bénéfices personnels de cette pratique. Dans une logique volontariste et de responsabilité individuelle, ceci se tient. C’est ce à quoi il faut aspirer en présence de pratiques illicites dans une organisation humaine. En théorie plus qu’en pratique ? L’inégalité du rapport de force et de dépendance entre un employeur étant une grande institution et un employé tempère tout de même le constat. Ceux qui ont eu l’attitude que le TF trouve qu’il aurait dû adopter ont notoirement été les premiers à en pâtir, dont être ostracisés sinon bannis du secteur. Ceci rejoint le constat de la protection insuffisante des whistleblowers en Suisse. Plus facile à dire donc, a posteriori, qu’à faire. Cet employé regrettera-t-il de n’avoir pas agi comme Bradley Birkenfeld ? C’est évidemment un choix personnel – mais peut-être aurait-il reçu plus que ce qu’il demandait aux tribunaux suisse, avec le prix de la sanction à payer toutefois. Dernière moralité de l’arrêt (sur le moyen du congé abusif) : La cour de céans n’a pas à sanctionner les comportements moralement critiquables ou inconvenants, mais uniquement l’abus de droit. Or, la présente affaire n’entre pas dans cette situation d’exception. Dernier clou dans ce cercueil du cross-border ? A voir.
(Illustration : Chappatte).