Ce blog a souvent parlé (e.g. ici) de la Cour Suprême des Etats-Unis, organe judiciaire aux pouvoirs immenses mais à la saisine étroite qui détermine nombre de sujets et cas de société, souvent suivis ensuite dans d’autres pays du monde, sur la base de la Constitution américaine. Des juges nommés à vie, d’où leur pouvoir et leur indépendance totale, par le président, donc l’exécutif, mais dont la désignation doit être confirmée par le sénat, soit le législatif. La mort du juge suprême américain Antonin Scalia, qui siégeait à la Cour depuis trente ans, est un événement majeur. Et pas que pour l’Amérique. Un homme exceptionnel tout d’abord, père de neuf enfants, unanimement loué comme l’un des plus brillants juristes américains de tous les temps, passé par Georgetown et Harvard, qui aurait aimé et a failli être ministre de la justice, et dont le verbe et l’humour charmaient. Une perte donc pour la justice et l’Etat de droit – comme à chaque fois qu’un grand disparaît. Mais l’événement est majeur au-delà de l’homme. Il laisse une Cour Suprême susceptible d’être privée de majorité jusqu’à la nomination de son successeur – et sachant que les derniers grands arrêts de société ont été tranchés à cinq contre quatre. Il laisse la nomination de son successeur comme un enjeu politique majeur – en une année d’élection présidentielle et sachant la division de la Cour entre progressistes et conservateurs. Obama souhaite le désigner, mais la nomination doit être entérinée par le Sénat, à majorité républicaine. Possible que les républicains tentent de la bloquer jusqu’à l’élection. Douze fois dans l’histoire le sénat a refusé une confirmation.
Un homme exceptionnel donc animé à la fois de respect pour ses collègues, d’un amour pour la controverse, et d’une grande liberté et impertinence – vu le système des opinions majoritaires, concordantes ou discordantes. Scalia pouvait être brutal, ironique, affectueux ou cynique. Mais sur le fond il était un conservateur bigrement réac – et ayant fait pencher la balance dans nombre de cas primordiaux. D’où nombre de détracteurs. Scalia a mené la Cour vers un retour à l’originalisme, soit la lecture de la Constitution telle qu’elle a été édictée au dix-huitième siècle, et au textualisme dans l’interprétation des lois, soit très littérale et sans grand égard pour l’intention du législateur. Là où la Cour avait avant lui pris un tour plus moderniste et vivant en permettant son interprétation en fonction des sensibilités actuelles. Scalia était brutal sur ce point : la Constitution a été écrite par les pères fondateurs, c’est leur mot qui compte – et c’est au législateur d’en changer s’il y a lieu, pas à la Cour Suprême sous couvert d’interprétation. Vaste débat donc sur ce principe-là – et l’on comprend bien que la mort de Scalia et la personne de son successeur auront un impact sur les sujets majeurs : l’avortement, les armes à feu, la couverture sociale, l’énergie et l’environnement ou le financement politique. A suivre donc avec grand intérêt. Pour ceux que cela intéresse deux liens vers des extraits de ses opinions concordantes ou dissidentes. Et vers le livre co-écrit avec Bryan Garner sur Making Your Case: The Art of Persuading Judges qui est un must pour tout avocat où qu’il exerce.