Toutes les juridictions connaissent des plaideurs quérulents. Soit qui, bien que les perdant, multiplient les actions en justice par délire de persécution ou paranoia. Ils sont un cauchemar pour leur adversaire et pour la justice. Parfois ils espèrent, à tort, gagner, ou gagner un jour. Le plus souvent ils savent qu’ils vont perdre, mais ce qu’ils imputent à un système qu’ils considèrent corrompu ou dysfonctionnant, et plaident pour la seule nuisance qu’ils infligent, et le plaisir, pervers, qu’ils en retirent. La justice est démunie : elle doit traiter les causes dont elle est saisie, avec toutes leurs étapes formelles et matérielles. Il y a bien une facture pour celui qui perd en fin du compte, mais les procédures sont longues, et elle ne dédommage le vainqueur que partiellement et dans la limite de la solvabilité du perdant. Est-il possible d’empêcher un quérulent de plaider à nouveau ? L’exercice est philosophiquement délicat, car l’accès à la justice est un droit fondamental acquis de périodes lors desquelles il n’existait pas. Reste que cela existe, pour empêcher aussi une autre figure : l’emploi abusif de la justice par une partie forte économiquement pour contraindre une partie faible, notamment en matière de liberté d’expression ou de droits politiques. La partie forte musèle la partie faible en la faisant craindre un long et couteux procès, même si elle sait qu’elle le perdra probablement. Cela s’appelle anti-SLAPP en anglais, pour strategic lawsuit against public participation.
Au Québec (art. 54 p. 26 du Code de procédure civile), le défendeur peut ainsi présenter un moyen propre et préliminaire que la demande est abusive. Le juge respecte le droit d’être entendu et peut d’entrée la rejeter ou sanctionner l’abus d’une autre manière. Les motifs de la loi sont exprimés : garantir la liberté d’expression, prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et qu’ils ne soient utilisés pour limiter le débat public, et veiller à l’équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice. Et, fait particulier, un quérulent peut être interdit d’introduire une nouvelle action sauf autorisation, donc un filtre judiciaire préalable (« Lorsque l’abus résulte de la quérulence d’une partie, le tribunal peut, en outre, interdire à cette partie d’introduire une demande en justice à moins d’obtenir l’autorisation du juge en chef et de respecter les conditions que celui-ci détermine. »). Comme pour tout texte, c’est aussi la manière dont il est appliqué qui compte – afin que ce filtre joue son rôle de bouclier pour les victimes de vrais quérulents. Chez nous, le CPC a été plus timide puisque, si la témérité peut être sanctionnée, elle ne peut faire l’objet que d’une amende – ce qui ne met pas fin à l’action du quérulent. Les juges ne sanctionnent en outre la témérité que rarissimement. A l’inverse, il ne semble pas que la liberté d’expression ou les droits politiques soient entravés par la seule peur d’un procès.