Voilà c’est fait : SCOTUS a renversé Roe v. Wade comme pressenti et annoncé y compris par ce blog. C’est évidemment une catastrophe pour les femmes et s’agissant d’une décision qui a constitué un progrès nécessaire et l’a unifié sur tout le territoire des États-Unis depuis 49 ans. Clé de lecture ?
Savoir si la Cour pouvait considérer l’avortement comme déductible des libertés générales d’une Constitution écrite il y a 235 ans et qui ne le prévoyait pas revient à discuter le sexe des anges. Dans la logique originaliste de sa majorité conservatrice actuelle, la réponse est probablement non. Mais cette logique originaliste est indéfendable dans un État de droit moderne. La Cour renvoie la responsabilité de décider au législateur et cela se conçoit. Mais c’est une hypocrisie qui enterre en réalité le droit à l’avortement : au plan fédéral, le Congrès ne pourra pas légiférer dans un sens progressiste vu les majorités nécessaires. Ce qui renvoie la balle aux États et n’est pas nécessairement non plus institutionnellement faux ? Autre objectif des conservateurs, cela morcèlera ce droit en fonction de la sensibilité locale. Dans un monde global, c’est anachronique et absurde, mais aussi une réalité Américaine… dont la traduction directe est une géométrie variable des droits des femmes qui va s’accentuer.
La triste réalité, c’est que la Cour utilise des motifs juridiques défendables dans son optique originaliste pour imposer les vues personnelles conservatrices des juges majoritaires – conformes à celles de l’électorat du président qui les a fait nommer. Soit un processus bien davantage politique que judiciaire. Juges dont les deux derniers élus avaient pourtant dit lors de leurs auditions de nomination qu’ils considéraient Roe comme la jurisprudence établie – et qui ont donc menti. Le juridisme devient ainsi un prétexte – là où il devrait être un fondement. Où cela mène-t-il ? Concrètement, à des drames pour les femmes et très jeunes femmes qui ne pourront plus avorter. Et à un tourisme de l’avortement – pour autant que certains États ne criminalisent pas d’aller avorter dans un autre. Dobbs va mettre en péril d’autres droits que la Cour avait protégés dont le prochain en ligne est le mariage homosexuel et même le droit à la contraception. Mais surtout, ce jugement va creuser davantage le fossé entre une Amérique bigote, conservatrice et rétrograde, et une Amérique moderne, progressiste et multiculturelle. Sachant que ce fossé a mené à quelques mètres d’un coup d’état le 6 janvier 2021, et qu’une majorité de l’électorat Républicain croit encore le mensonge avéré que l’élection de 2020 a été volée, cela ne présage malheureusement rien de bon.