
Cartels de la drogue, crime organisé et compliance anti-blanchiment (suite)
Le trafic de drogue aux Etats-Unis représenterait un « marché » de 14 à 49 milliards de dollars, selon les estimations du Congrès américain. Neuf dixièmes de la cocaïne consommée viennent du Mexique. Les cartels y entretiennent de véritables armées de l’ordre de cent mille hommes. Par la corruption, la force et la terreur, ils dominent les institutions dans de nombreuses provinces dans lesquelles l’Etat de droit n’existe plus. Ni la police ni même l’armée n’osent plus s’opposer à eux. C’est ainsi que le Mexique est considéré comme le troisième risque stratégique pour les Etats-Unis après le Pakistan et l’Iran. C’est évidemment effrayant. Ce l’est d’autant plus que le « coût de production » de la drogue est très bas (cf. ce blog du 24.10.08) – laissant une « marge » importante aux cartels. C’est ce type de péril, pour les démocraties et l’Etat de droit, qui a à juste titre constitué le fondement de la répression du blanchiment : priver ces organisations criminelles de leurs ressources au travers de la répression de l’acte de blanchiment, et les priver d’accès aux marchés financiers légitimes. Où et comment l’argent de ces trafics circule-t-il, est-il réintroduit, blanchi puis investi ? Apparemment pas en Suisse ou alors sans être détecté. Selon les rapports du MROS, la part des dénonciations selon l’art. 9 LBA, c’est-à-dire selon la perception de l’intermédiaire financier, en lien avec le crime organisé et le trafic de stupéfiants sur la période 1999/2008, n’est que de 3,5 et 4,5%. Où veux-je en venir ?
Une fois de plus, et sous un autre angle, et alors que le MROS évoque une année record en termes de dénonciations, c’est là l’illustration de ce que la majeure partie de l’activité de compliance et de répression du blanchiment n’est pas dirigée contre les véritables périls qui en constituent le fondement. Notamment en tant qu’elle appréhende et impose toutes sortes de formalités ridicules et accomplies pointilleusement à une majorité de la clientèle qui ne présente aucun risque concret en la matière. Est-ce grave ou gênant que tout soit « propre en ordre » s’agissant de ces clients-là également ? Une première réponse intuitive est que probablement pas. Mais la vérité est plus nuancée. Tout ce compliance constitue un coût d’administration improductive élevé et dont le sens peut échapper appliqué à cette majorité de la clientèle ne présentant pas de risque concret. Il signifie également que le temps et les ressources consacrés à vérifier qu’une vieille dame habitant en Suisse ou en France depuis cinquante ans est bien identifiée par une copie d’un passeport non-échu, le cas échéant à lui demander une copie du testament de son propre grand-père, n’est précisément pas dévoué à traquer les formes complexes du blanchiment de l’argent du crime organisé. Mais c’est surtout l’illustration d’une vaste hypocrisie. Tout cela alourdit l’accès aux services financiers à la clientèle légitime, avec une certaine arrogance et malgré tout une certaine sorte de fichage – alors que l’exercice manque en réalité assez largement sa cible.
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