CPC – EXPERTISE ET AUDITION DES PARTIES, ET UN PEU D’ARCHITECTURE JUDICIAIRE

Posté le 17 mai, 2016 dans droit / law, justice

Salles d’audience monochromes réalisées dans des bois rouge orangé, murs recouverts de panneaux de medium perforé, et ambiance métallique du reste du palais dont la salle des pas-perdus – à Nantes et par Jean Nouvel. Spectaculaire – mais permis de se demander qui y voit rouge en premier des avocats, juges ou parties. Plus près, le Tribunal fédéral vient de préciser (ATF 141 III 433 – SJ 2016 I 162) ce que pèse une expertise privée en procédure civile : pas lourd. Rappel brutal : ce n’est pas un moyen de preuve au sens de 168 al. 1 CPC qui en prévoit le numerus clausus, ce n’est qu’une allégation de partie, et dès lors si elle est contestée, elle doit être prouvée. Ce qui défie son sens – puisqu’une expertise vise à prouver. Exit ? Le TF ne laisse qu’un mini-espoir : elle devient fait – mais comme tout allégué – si elle n’est pas suffisamment contestée, et la contestation devant être du même niveau de précision que l’allégation. Trop générale ou en bloc, alors l’allégué peut être considéré comme établi. Mais difficile pour le plaideur de tabler sur la déficience de la contestation adverse. Si l’expertise se combine avec des indices prouvés par d’autres moyens, alors elle peut éventuellement constituer une preuve. Mais étroit et dangereux. Dommage ? Heureux ? Comme souvent, « ça dépend ». Un plaideur s’accroche à l’expertise qu’il a faite faire, mais sa force dépend de la qualité de l’expert, des réponses, des questions. Et difficile au juge de trancher entre deux expertises privées puisqu’il n’est pas expert, et d’où la force, de principe, de l’expertise judiciaire, dans laquelle les questions sont formulées contradictoirement et passent le filtre du juge. L’expertise judiciaire a donc sur le papier tout pour elle. La réalité est moins rose vu que dépendant de la qualité de l’expert judiciaire et des questions retenues, jamais garantie.

Produire une expertise privée, et en engager les frais, ne peut donc avoir qu’un effet de contexte ou d’explication. Ou servir à montrer à l’expert judiciaire qu’il est tenu à l’œil, que la partie maîtrise les questions techniques et présente des conclusions. Ou aider à l’expertise judiciaire ou à sa formulation. Difficile de dire qu’il faut s’en passer complètement, mais sachant qu’elle ne vaudra pas preuve hors circonstances spéciales. L’audition des parties donne elle lieu à des pratiques diverses des tribunaux voire de chambres au sein des tribunaux. Certains la considèrent inutile car les parties se sont exprimées par écrit et il ne peut y avoir-là que redite. Et s’attachent aux déclarations des témoins. D’autres l’aiment bien car tout n’est pas toujours couché par écrit et entendre une partie est souvent plus éclairant, plus libre et plus complet. Ce qui dépend aussi de la maxime applicable. Or selon le texte clair du CPC, les déclarations au titre d’interrogatoire des parties sont un moyen de preuve à part entière (art. 168 al. 1 litt. f et 191ss CPC). Il n’y a donc aucune raison de leur donner une force probante inférieure à d’autres preuves, de ne pas les considérer dans l’ensemble d’un contexte de fait cohérent. Et il est contraire au droit de ne pas les administrer. La doctrine (Jeandin/Peyrot, Précis de procédure civile, n 403 s., p. 160 et 443 s. p. 171 s. ; Trezzini, La procédure probatoire et l’interrogatoire des parties, in Le code de procédure civile, Fondation pour la formation continue des juges suisses, journée du 9 septembre 2009, p. 13) et la jurisprudence (Obergericht ZH du 15.01.2015, LB140032-O/U, c. 4.a) l’admettent. Dans un code ayant déshumanisé une large partie du processus judiciaire, cela est bien car c’est la seule fois que le justiciable pourra s’adresser personnellement à son juge, avoir son day in court comme on dit aux USA. 

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